vendredi 17 octobre 2014

[Critique] Elmer Gantry, le charlatan - Richard Brooks (1960)


Réalisateur : Richard Brooks

Scénariste : Richard Brooks
D'après le roman de : Sinclair Lewis

Acteurs : Burt Lancaster, Jean Simmons, Arthur Kennedy

Directeur de la photographie : John Alton


Compositeur : André Prévin

Monteur : Marjorie Fowler

Genre : Drame

Nationalité : Etats-Unis 

Durée : 2h26

Année de sortie : 1960



SynopsisPetit représentant de commerce au début des années vingt, Elmer Gantry est tout sauf honnête. Parcourant les Etats-Unis sans relâche dans le but de faire fortune, il rencontre une troupe de bateleurs religieux. Rapidement, il tombe amoureux de la soeur Sharon Falconer. Converti d'abord par opportunisme puis par amour pour la jeune femme, il met ses qualités de vendeur au service de la religion.


"Pêché ! Pêché ! Pêché ! Vous êtes tous des pêcheurs ! Vous êtes tous condamnés à la perdition !", s'exclame Burt Lancaster dans une transe presque inédite, avec un ton nous vendant sa bible comme s'il vendait des aspirateurs. Elmer Gantry, le charlatan serait-il le film ultime de Lancaster ? C'est une éventualité. C'est un film puissant et ravageur, un brûlot engagé contre la mode du revivalism, le réveil religieux qui a embrasé le monde rural américain dans les années 20 mais également brassé du billet vert comme rarement. Retour sur un des films les plus incroyables et avant-gardiste de sa décennie.

Avant-même l'incroyable générique désigné une fois de plus par le grand Saul Bass, Elmer Gantry donne le ton à travers un carton introductif décrivant la nature engagée du film, et déconseille le visionnage par de jeunes âmes sensibles. Très vite, le propos s'installe à travers l'univers décrit par le personnage incroyable qu'est Elmer Gantry. Vendeur bon-à-rien manipulateur mais charismatique, Gantry est une figure paradoxale qui arrive à lier antipathie et sympathie. Aucun doute sur le fait de pouvoir tenir près de deux heures trente sur un tel personnage, délivrant ainsi une véritable fresque sur tout un univers social, une version alternative et incendiaire de l'Americana.

Au fur et à mesure de l’ascension d'Elmer Gantry, de ses réquiems oratoires enflammés comme jamais, on repense à plus d'une reprise au personnage de Jordan Belfort, le fameux Loup de Wall Street. On imagine sans mal où Scorsese est venu chercher une inspiration majeure tant les transes des personnages semblent se répondre. Burt Lancaster, de son corps de dieu grec à la mâchoire carnassière et à l'air ahuri, s'impose une fois de plus derrière les traits de Gantry. Impossible d'imaginer une autre figure hollywoodienne que lui embrasser le rôle avec une telle passion, un tel engouement parfois impressionnant si ce n'est même inquiétant, d'autres fois attendrissant. L'air cabot et parfois au bord de la roue libre, Lancaster n'en reste pas moins un véritable gourou sur-charismatique d'un spontané fabuleux. Le bougre nous ferait le suivre jusqu'en enfer s'il le fallait.

Néanmoins Elmer Gantry vaut aussi grâce à toute une galerie de personnages finement écrits, qui équilibrent le récit en donnant merveilleusement bien la réplique à Lancaster. Jean Simmons, plus belle que jamais en Sister Falconer, malheureuse enfant qui est tombé dans le piège de croire en sa propre cause. L'aura du couple rayonne sur tout le film jusqu'à presque nous embobiner et nous faire perdre de vue la malhonnêteté de l'entreprise. Mais derrière les apparences, les personnages ne sombrent pas dans le manichéisme et finissent toujours par être développés à travers des dialogues d'une précision qui n'est pas sans rappeler les films très écrits de Stanley Kramer (pour lequel Burt Lancaster a également tourné, dans le très grand Jugement à Nuremberg). On notera également un Arthur Kennedy délicieux, vague figure (athée, par ailleurs) du peu d'honnêteté qui subsiste chez les personnages.

L'Amérique maladive décrite par Brooks (à qui l'on doit d'ailleurs, toujours sur la dérive de la société américaine, Graine de violence) rappelle la hargne iconoclaste de Samuel Fuller. On pourrait même penser que le code Hays est loin tant l'univers n'hésite pas à étaler ses vices alors tabous, notamment avec les prostituées. On en profite même pour admirer Jean Simmons dans une nuisette bien légère. L'obsession putassière du jugement permanent, typique de la société américaine moderne, en prend pour son grade à travers l’ascension et la déchéance de Gantry. Le jeu avec la religion, entre damner et être damné, s'apparente presque à une montagne russe infernale et malsaine. 

Brooks s'impose comme un auteur au talent singulier grâce à sa mise en scène qui fait totalement corps avec le sujet et laisse un sentiment net de modernité, sans aucun doute l'héritage de sa carrière dans le journalisme. On gardera en mémoire ces gros plans qu'il va chercher chez ces acteurs, d'une grande beauté, tout en traduisant idéalement la folie ambiante qui règne chez les personnages. Avant l'heure, Elmer Gantry est une matrice importante du Nouvel Hollywood. Cela ne peut conduire évidemment que vers un final terrifiant, qui semble sorti d'un film d'Arthur Penn, tout en apportant une nuance salvatrice à l'ensemble. Ainsi, l'apparente fin moralisatrice se retrouve elle-même nuancée par le caractère cyclique et sans conséquences des évènements décrits, à croire que la perversion de l'homme est répétitive et inéluctable.

Elmer Gantry peut paraître dépassé, mais n'en reste pas moins diablement d'actualité à l'heure où l'embobinage à des fins mercantiles fait plus que jamais rage sur les images de bien des médias, héritiers de ces grandes tentes où l'on prêchait n'importe quoi. On en ressort essoufflé, dubitatif sur ce qui peut advenir de notre société tant on se dit que d'un bonhomme comme Elmer Gantry à Steve Jobs, dans le fond, il n'y a qu'un pas...


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