samedi 27 décembre 2014

[Avis en vrac] Le Hobbit : La Bataille des Cinq Armées (2014), Astérix : Le Domaine des Dieux (2014), Predestination (2014), Housebound (2014), Wake in Fright (1971), L'Homme qui voulait savoir (1988), Jarhead (2005), Monsieur Quigley l'Autralien (1990), Oblivion (2013), Nosfatu fantôme de la nuit (1979) Justice pour tous (1979), Les Douze travaux d'Astérix (1976), L'Adieu au Roi (1989), Le Nouveau Monde (2005), L'Homme au complet gris (1956), Man of Tai chi (2013), Les Anges aux figures sales (1938) et The Knick (2014)

AU CINÉMA 


Avant tout, deux critiques rédigées par mes soins pour le site Filmophère sur lequel je vais désormais écrire en parallèle :
- Secret d'Etat, de Michael Cuesta (2014)
- Queen and Country, de John Boorman (2015)


Le Hobbit : La Bataille des Cinq Armées, de Peter Jackson (2014)

Comment peut-on conclure une saga de manière autant hors-sujet alors que le premier volet, que je trouve fabuleux, avait tout compris ? Le Hobbit : La Bataille des Cinq Armées sacrifie la quête de l'intime que j'appréciais tant au profit d'une action de grande envergure, la fameuse bataille, probablement pour recoller avec l'épique sur lequel se concluait Le Seigneur des Anneaux. Mais c'est dommage, cette saga n'en avait pas besoin. Aucun doute cela dit sur le fait que les reshoots aient véritablement joué, au point de transformer totalement le fond de l'adaptation. On pourra éventuellement trouver plein de choses réussies quant aux scènes d'action (comme la bataille où Jackson se lâche ou encore la splendide -mais trop prématurée- mort de Smaug), mais l'essentiel semble absent, la quête disparue avec sa profondeur, et Bilbo relégué au second plan. Lui qui évoluait dans les deux premiers opus (notamment dans Un Voyage Inattendu où il a la plus belle scène de la saga, quand il laisse la vie à Gollum) est ici ignoré. On comprend aisément pourquoi le titre original "Histoire d'un aller-retour" a changé, et c'est bien triste, j'aimais ce qu'il induisait. Le film est ici plus court, quelque part assez efficace, très généreux, mais sans que cela ne me convainque réellement. D'autant plus que certains aspects du récit sont inachevés ou bâclés, et qu'en parallèle un fan-service gratuit se ressent beaucoup trop. Éventuellement divertissant, mais ça n'est simplement pas ce que j'attendais. A revoir en version longue.



Astérix : Le Domaine des Dieux, d'Alexandre Astier et Louis Clichy (2014) 

A l'heure où la saga Astérix s'embourbe dans des adaptations live aux allures blockbusteresques désespérantes de nullité, l'idée d'avoir Alexandre Astier aux commandes de l'adaptation de l'un des meilleurs albums des aventures du célèbre Gaulois peut rassurer. Malheureusement, on déchante bien vite devant Astérix : Le Domaine des Dieux. L'ensemble est d'une pauvreté affligeante, reléguant l'opus non loin des précédents. Bien que reprenant la charte graphique et la trame de l'album, l'esprit Astérix semble absent, sacrifié sur l'autel d'un formatage culturel peu jouasse. D'autant plus paradoxal quand le fond de l'album de Goscinny et Uderzo traitait justement de préservation culturelle. Les gags sont lourds, bêtes, peu originaux quand ils ne se contentent pas d'en recycler des déjà utilisés. A noter d'ailleurs à ce sujet-là un générique curieusement pompé sur Tintin et le Secret de la licorne. L'ensemble manque cruellement d'envergure, les personnages ne sont pas approfondis, ni aidés d'ailleurs par un casting vocal abominable. Il serait temps de comprendre que doubleur, c'est un métier. Même Roger Carel, dont on reconnaît avec plaisir le timbre, semble tout de même absent dans ses intentions.

Le point le plus choquant reste que c'est profondément moche. Bien qu'Astier ait co-réalisé le film avec un ex-animateur de chez Pixar (et seulement animateur contrairement à ce que j'ai pu lire ailleurs sur le net), l'ambition visuelle est totalement absente, l'image est plate et rien ne vit, en parallèle d'une mise en scène extrêmement statique, voire même, lâchons-le mot : téléfilmesque. On se demande où est l'héritage des précédentes adaptations animées, qui, bien que techniquement pas toujours très abouties, offraient une immense variété dans l'image, dans la palette des couleurs, des décors et des animations pour rendre l'univers vivant. Et puis surtout : c'était drôle.

Ici, la blague la plus drôle de l'album ("Il ne faut jamais parler sèchement à un Numide") succombe au profit du politiquement correct, de la culture pop formatée et du cinéma télévisuel. Un coup d’œil aux boites de production suffit : distribué par SND (Groupe M6), et co-produit notamment par
M6 Studio, M6 Films, M6,  W9, Canal+ et Ciné+. Voilà voilà.



Predestination, de Michael Spierig et Peter Spierig (2014)

Vu au PIFFF.

Ayant plutôt été emballé par l'agréable surprise qu'était Daybreakers, découvrir un nouveau film des frères Spierig mettant en scène une histoire de voyage dans le temps, avec Ethan Hawke, m'intriguait. Bien rapidement, on comprend les problèmes auxquels Predestination va se confronter : c'est foutraque. Le paradoxe temporel étant déjà compliqué à traiter avec honnêteté au cinéma (la référence restant toujours L'Armée des 12 Singes ainsi que La Jetée évidemment), une avalanche de paradoxes temporels ne va pas aider. Pourtant, l'ensemble n'est pas désagréable ni même mal-intentionné. C'est même assez ambitieux, mais profondément maladroit à tel point qu'à force d'accumuler, le film ne sait même plus comment se conclure. Le mindfuck final apparaît presque comme une grosse facilité finalement assez prévisible. Dommage pour les frangins Spiering qui, contrairement à leur précédent film, n'arrivent pas ici à s'évader de leur concept pour proposer quelque chose.



Housebound, de Gerard Johnstone (2014)

Vu au PIFFF.

A l'horizon de la parodie du film d'horreur, rien de neuf. Housebound est un film de plus qui écule des clichés déjà trop éculés par d'autres comédies, à tel point que c'en devient parfois navrant. Le film ne propose véritablement rien, ni idée ni audace. Et un film dans lequel il y a aussi peu d'ambition, et dans lequel les personnages ont aussi peu d'intérêt est assez difficile à suivre. L'ennui est profond. Dans le premier tiers, certains gags fonctionnent éventuellement, mais leurs ficelles cèdent trop vite, quand certains ne sont pas carrément trop vulgaires pour être intéressants. L'esprit grotesque de Sam Raimi n'est jamais loin, au détriment du film d'ailleurs. A force de vouloir calquer sans idée des concepts déjà éculés maintes fois par les meilleurs, que reste-t-il ? Pas grand chose. Un film bête et vulgaire qui ne saisit pas que "jouer sur les clichés", ça ne suffit pas.

Fiche Cinelounge


Wake in Fright, de Ted Kotcheff (1971)

Vu au PIFFF.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Wake in Fright ne constitue pas la publicité la plus encourageant pour découvrir l'outback australien. C'est un film profondément terrifiant et malsain. D'autant plus que son ambiance, bien que paraissant dépasser les frontières du réel, conserve toujours son caractère plausible... La vérité n'est jamais totalement éloignée. Et ainsi de suite, la tournure prise par le périple est encore plus malsaine qu'elle ne l'était déjà. La séquence de chasse aux kangourous m'a  estomaqué par son caractère cru, brut de décoffrage. On ne sait plus où se mettre ni même quoi penser du personnage principal qui ne fait que d'aller d’abîme en abîme. Je suis tenté d'observer qu'à un moment, c'est presque trop. Ça m'a dépassé, je ne savais même plus quoi penser du film. La preuve s'il en est d'une expérience fascinante, dérangeante, pour ne pas dire traumatisante. A voir dans de bonnes conditions.

Fiche Cinelounge


L'Homme qui voulait savoir, de Georges Sluizer (1988)

Vu au PIFFF.

Le cas typique d'un film où j'aimerais que l'on m'explique ce que j'ai raté. Ça n'est pas tant que j'ai trouvé L'Homme qui voulait savoir mauvais (enfin si, déjà, un peu), c'est surtout qu'en vérité il m'a fait hurler de rire. Pourtant il paraît que Stanley Kubrick lui-même le trouve grandiose. On tient une histoire plutôt intéressante dans le concept, dans notamment le fait que la plus insensée des violences puisse se trouver chez un homme banal du quotidien. C'est un thème très intéressant. Mais voilà, on peut avoir ce thème très intéressant et l'exploiter tant bien que mal, outre le fait que ce soit réalisé n'importe comment, que le directeur de la photo soit absent, le chef-décorateur au chômage et ainsi de suite... Je ne peux pas prendre au sérieux un thriller psychologique qui s'arrête le temps d'une longue séquence pour disserter sur pourquoi c'est rigolo de s'appeler monsieur Pouf. Et là c'est le fou rire. Sans parler du kidnappeur interprété par Bernard-Pierre Donnadieu. Alors certes, je veux bien que ce soit justement un homme du quotidien qui n'a pas l'habitude de ces choses et fait des erreurs... Mais dans le cas présent j'avais l'impression d'être face à une sorte de François Hollande des violeurs, ou un personnage étant la suite spirituelle de Pierre Richard. Et quelque part c'est malheureux car je riais tellement que je suis probablement passé à côté de plein de choses, même si bon, je me demande quel est l'intérêt du symbolisme ronflant qui parsème le récit. D'autant plus dommage que tout le film, profondément à côté de la plaque sur la forme, conduit à une séquence finale terrifiante qui m'a vraiment surpris. Mais il aurait fallu refaire tout le film en conséquent... Parce que le résultat est que j'ai quand même beaucoup ri. Monsieur Pouf quoi... MONSIEUR POUF !

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EN VIDÉO


Jarhead, la fin de l'innocence, de Sam Mendes (2005)

Évidemment Jarhead a toute une face qui apparaît comme une relecture moderne de Full Metal Jacket (qui ne m'a jamais transcendé au demeurant). Mais là où le film de Sam Mendes devient intéressant, et prend tout son sens dans notre époque contemporaine, c'est qu'il s'intéresse au grand vide de ces soldats qu'on a formatés à faire la guerre, transformés en tueurs d'élites alors qu'il n'auront jamais vraiment l'occasion de presser la détente. D'une part, cette attente qui bouffe les hommes me rappelle Le Désert des Tartares, et d'autre part, la violence qu'ils forgent en eux, n'ont pas pu exprimer, et donc ramènent avec eux au pays, me rappelle la scène d'introduction des Fantastiques années vingt lorsque Bogart, à peine l'armistice de la Grande Guerre signée, dit qu'il va rapporter son fusil au pays comme souvenir. Toute une génération est complètement conditionnée par la culture de la violence (en témoigne également la scène où les Marines regardent Apocalypse Now). Le spectateur aussi, quelque part, fasciné par ce qu'il voit, trouvant même une forme de beauté malsaine dans les somptueuses scènes de nuit des champs pétrolifères en feu, qui rappellent évidemment les plus belles photos de Salgado. Définitivement le fruit d'un auteur qui n'est pas n'importe qui dans le cinéma américain.

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Monsieur Quigley l'Autralien, de Simon Wincer (1990)

Avouons que la perspective d'un western avec Tom Selleck laisse tout de même dubitatif. Néanmoins, le contexte géographique de Monsieur Quigley, l'Australien (quel titre nul) est tout de même assez intéressant. Alors bien entendu, il s'agit néanmoins d'un western extrêmement classique : un gentil très gentil, des méchants très méchants, une fille qui s'éprend du héros, une cause noble perdue d'avance à défendre, etc etc... Cela dit l'ensemble est quand même fort agréable et plutôt efficace : Quelques idées de réalisation qui marchent bien même si le tout est évidemment plutôt impersonnel, des fusillades assez agréables qui mettent judicieusement en valeur le fusil Sharps de Quigley, et puis évidemment Alan Rickman qui cabotine en méchant pour notre plus grand plaisir. Et puis après tout, Tom Selleck ne rend pas trop mal. En prime, la sympathique composition de Basil Poledouris !

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Oblivion, de Joseph Kosinski (2013)

Après avoir rattrapé le raté World War Z, je me mets à Oblivion, que je m'étais résigné à ne pas voir à sa sortie vu les piètres retours que j'en avais eu. Critiques sévères qui malheureusement sont un peu justifiées. D'autant plus dommage alors que j'avais trouvé Tron Legacy extrêmement bien fichu, assumant son concept de part en part tout en proposant de l'entertainment visuellement abouti. Ici, la recette semble pourtant similaire mais est totalement gâchée par un élément bien concret : l'écriture. Le scénario ne va nulle part. Si le concept de l'histoire est éventuellement alléchant bien que faiblard, le traitement qu'en fait le scénario n'aide pas, entre personnages inaboutis, répliques fades et péripéties laborieuses. Reste un film de designer. L'ensemble est plutôt mis en scène avec précision (malgré quelques fautes de goût dans des effets douteux), on sent le réalisateur qui a des idées et de l'ambition. Il faudrait simplement revoir le travail des scénaristes avant tout. Et la musique également, car la diarrhée auditive composée par M83 en vient à détruire l'intensité de certaines séquences. Heureusement qu'il y a Tom Cruise, bien que dans le registre si convoité du "Tom Cruise movie", on ait été bien plus gâté cette année avec le très sympathique Edge of Tomorrow, qui justement réussit là où Oblivion échoue.

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Nosferatu fantôme de la nuit, de Werner Herzog (1979)

J'adore la manière avec laquelle Werner Herzog s'approprie des sujets parfois déjà traités, comme dans le cas présent (ce qui me fait attendre énormément son prochain film, Queen of the Desert). Une fois de plus, Nosferatu peut se percevoir comme l'expédition d'un aventurier dans une terre inconnue semblant être au bord du monde. Wagner accompagnant, comme toujours, le périple est majestueux, fascinant, magnétique. Bien que Herzog conçoive son film presque comme un muet, évidemment sorte de relecture du Murnau, il le traite avec une modernité déconcertante. Le rythme est profondément lent, inquiétant, alors que l'ombre grandissante du vampire Klaus Kinski dévore les personnages. Les années 70 permettent de traiter avec plus de profondeur tout le caractère significativement érotique du mythe, devenant une histoire de pénétration. Les personnages sont sublimes, Adjani plus belle que jamais aux côtés d'un Ganz impuissant, et d'un Kinski tellement beau derrière ses airs profondément pathétiques. C'est fabuleux que chaque adaptation de grand maître de l'histoire du livre de Bram Stoker propose à chaque fois quelque chose d'aussi différent. Un film quelque part difficile d'accès, qui laisse un sentiment étrange, indescriptible. C'est quelque chose.

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Justice pour tous, de Norman Jewinson (1979)

Les films sur la justice (du moins les réussis) sont souvent la promesse d'avoir une écriture assez fine, incisive, quand ce n'est pas brillante. Justice pour tous amène en plus tout le punch du Nouvel Hollywood, porté dans les tripes d'Al Pacino (remarquable comme toujours à cette époque). Le résultat est plutôt simple, penché sur le réel, et donc marque assez rapidement la différence avec les œuvres plus classiques et davantage portées sur une verve pompeuse. L'univers a tout de même ses dérives un peu déjantées, typiques de la décennie, qui apportent un vrai dynamisme. D'autres scènes, plus graves, sont très touchantes. Une fois de plus, la justesse de l'interprétation d'Al Pacino n'y est pas étrangère, sans parler de l'efficacité avec laquelle Norman Jewinson (souvent oublié, mais très belle carrière) le filme. On repense à la simplicité de la mise en scène de Stanley Kramer dans un film comme Devine qui vient dîner ce soir ?, simple mais allant également droit au but. Bonne petite pioche.

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Les douze travaux d'Astérix, de René Goscinny et Albert Uderzo (1976)

Revisionnage.

Motivé par le calamiteux Astérix et le Domaine des Dieux, j'entreprends de me refaire l'intégrale cinématographique (en animé) des aventures du célèbre Gaulois. Peu de doutes sur le fait que Les douze travaux d'Astérix figure parmi le panthéon des adaptations de bandes dessinées sur le grand écran. En tout point, le film est remarquable. Porté par la verve de Goscinny et le trait graphique si simple mais si beau d'Uderzo, le film est un véritable bonheur à l'efficacité ignorant les ravages du temps. Avec le temps et les revisionnages, on se rend compte que la mise en scène est d'une précision ahurissante et surclasse sans appel celle de la dernière adaptation en 3D. Les éventuelles failles techniques sont compensées par une direction artistique exemplaire et richissime, il suffit de voir ces designs de décors ou encore ces arrière-plan parfois somptueux où il se passe toujours quelque chose. Les aquarelles de l'île du plaisir l'illustrent parfaitement. Et puis tout simplement, c'est drôle, bougrement drôle... enfin c'est hilarant. D'autant plus que l'inventivité des séquences au fur et à mesure des douze travaux empêche toute redondance, toute feignantise dans l'écriture. Fabuleux de A à Z, un des sommets de l'animation française.

Mention spéciale évidemment à la maison des fous, le tacle le plus juste (et toujours d'actualité) sur l'administration à la française. Délicieux.

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L'Adieu au Roi, de John Milius (1989)

Une œuvre de Pierre Schoendoerffer adaptée par John Milius, avec Nick Nolte en tête d'affiche et Basil Poledouris à la musique, avouez que cela donne plutôt envie. L'Adieu au Roi est un film assez simple mais profondément beau, fruit d'un grand auteur trop souvent oublié. L'invitation au périple dans des tribus isolées réunies pour lutter contre l'envahisseur nippon rappelle Lawrence d'Arabie. D'autant plus que l'impérialisme britannique est aussi ici assez justement en ligne de mire. Évidemment, il serait tout de même assez malhonnête de ne pas avouer que c'est surtout l'incroyable Nick Nolte qui tient tout le métrage. Définitivement, entre la fin des années 80 et le début des années 90, il a été un des meilleurs acteurs du cinéma américain. A priori peu subtil, son personnage se découvre progressivement et laisse entrevoir l'immense talent de son interprète. Malgré un rythme éventuellement plan-plan, le film de Milius n'en reste pas moins une aventure de choix qui ne mérite pas d'être oubliée.

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 Le Nouveau Monde, de Terrence Malick (2005)

Revisionnage en version longue

Je n'avais pas revu le film de Malick depuis sa sortie, et autant dire que depuis, ma perception de son auteur a évolué, sans parler d'une version longue qui rend l'expérience qu'est Le Nouveau Monde encore plus unique. Avant tout c'est surtout l'histoire d'un contexte qui évidemment attire énormément, d'autant plus que le cinéma contemporain ne l'a pas forcément énormément traité (alors que l'histoire est on-ne-peut-plus visitée et revisitée depuis, quel paradoxe). Malick a l'intelligence de se "débarrasser" assez subtilement des codes du genre, il évite ainsi le sérieux de la reconstitution pompeuse et faste (que j'apprécie également néanmoins) et retrouve des personnages qu'il aime tant. Avec intelligence, une fois de plus, il n'en privilégie aucun ou n'en méprise aucun parmi le trio, bien que le personnage de Farrell bénéficie évidemment de davantage de temps à l'écran que celui de Bale (qui trouve d'ailleurs un de ses meilleurs rôles). Mais comme c'est fait avec à la fois légèreté et brio, l'histoire est intense du début à la fin, et on est d'autant plus captivé par les images 70mm que nous offre Malick. Je retiens aussi la somptueuse partition d'un James Horner qui n'aura rarement été si inspiré dans les années 2000.

Et parce que je ne parle pas forcément très bien de Malick, j'en profite tout de même pour conseiller le livre à venir de mon ami Alexandre Mathis, "Terrence Malick et l'Amérique". Vous pouvez faire confiance au monsieur !

Fiche Cinelounge


L'Homme au complet gris, de Nunnally Johnson (1956)


Curieux film. Curieux car je n'ai pas vraiment saisi où L'Homme au complet gris voulait en venir. La première heure est tout bonnement remarquable, mettant en scène le quotidien d'un working man américain dans les années 50, en parallèle du trauma dont il souffre, lié à la Seconde Guerre Mondiale. Outre une éventuelle influence très plaisante dont jouira la (fabuleuse) série Mad Men, la question de la réinsertion sociale de toute cette génération est passionnante. Passé la première heure, on se demande tout de même où le film nous emmène. Psychanalysant, pas toujours subtilement d'ailleurs, le grand vide de la société américaine des années 50, évidemment représentée notamment à travers le personnage de Gregory Peck (très bon comme d'habitude), le récit se perd un peu, l'enjeu devient trouble et indiffère un peu, jusqu'à cette conclusion très expédiée. J'ai été un peu déboussolé car je ne m'y attendais pas, du coup peut-être est-ce à revoir. Car sur le reste, le film est tout de même impeccable, je pense notamment à un jeu des couleurs dans la photographie qui est fort bien pensé, autour du terne et du grisaillant.

Fiche Cinelounge


Man of Tai Chi, de Keanu Reeves (2013)

Certes, Man of Tai Chi, c'est nul, et je l'ai cherché. Néanmoins il s'avère que j'ai une immense sympathie pour Keanu Reeves depuis le génial documentaire Side by Side dont il est producteur et présentateur, mais aussi plus récemment pour le très agréable John Wick, série B ultra-efficace de derrière les fagots dont il est également producteur. Le voir passer derrière la caméra tend à intéresser, d'autant plus qu'il y a quelques temps il mettait en avant un système de bras pour caméra assez génial qui aurait permis éventuellement une petite révolution dans le film d'arts-martiaux. Le premier problème de Man of Tai Chi, c'est déjà qu'il ne bénéficie pas de ce système, vraisemblablement pas achevé. Donc malheureusement on se retrouve avec un film classique proposant lui-même des combats tout ce qu'il y a de plus classiques, parfois saccagés par un découpage dans la mise en scène complètement raté pour ne pas dire aberrant. Quant au reste, c'est terriblement mal interprété (Keanu Reeves en complète roue libre) mais c'est avant tout très mal écrit. Même l'enchaînement des péripéties est sans intérêt, sans parler de cette enquête policière qui ne va nulle part... C'est malheureux. Désolé Keanu, je t'aime bien, mais c'est poubelle, même si j'ai bien rigolé.

Fiche Cinelounge


Les Anges aux figures sales, de Michael Curtiz (1938)

J'abordais Les Anges aux figures sales avec une appréhension certaine, dans la mesure où je redoutais que Michael Curtiz (que j'apprécie notamment pour ses fresques d'aventures) soit dans l'ombre des Raoul Walsh et consort, bien qu'après tout ses preuves soient faites dans le genre (Casablanca oblige). Eh bien que nenni, car si le film de Curtiz est non seulement brillant en tant que pur film du genre, il est surtout d'une émotion et d'une intensité rare. La dimension humaine conférée aux personnages donne une emphase touchante avec la descente aux enfers du personnage de Cagney, d'autant plus bouleversante par la relation qu'il a avec son ami d'enfance devenu prêtre, ici sublimement interprété par Pat O'Brien. Le traitement de l'icône du gangstérisme est remise en question avec habileté et le regard qu'y portent les enfants fait toute la différence. Les scènes finales consacrent un film jusqu'au-boutiste, profondément beau sur le plan humain, et surtout intemporel. Le final du personnage de Cagney a de quoi rester gravé dans les mémoires.

Fiche Cinelounge


Johnny Express, de Kyungmin Woo (2014)

Un petit mot également sur le très drôle court-métrage coréen qu'est Johnny Express (visible ici), tout simple et très court, mais d'une efficacité record, avec des idées de mise en scène et un visuel agréable.



Fiche Cinelounge


SÉRIES


The Knick (2014)

Bénéficiant d'une première saison intégralement supervisée et réalisée par Steven Soderbergh, The Knick est sans conteste un modèle de ce que la série peut offrir. Outre un contexte très intéressant (le milieu hospitalier new-yorkais en 1900), on y trouve un cinéaste qui jouit d'un d'épanouissement salvateur et permet à la série de bénéficier d'une précision cinématographique, ou plutôt chirurgicale, pour rester dans le jargon de l'univers. En parallèle des nappes sonores synthétiques de Cliff Martinez, l'esthétique froide ou sépia ultra-numérique de The Knick est unique. Fidèle à la patte de son auteur, elle risque de diviser, mais constitue néanmoins un choix osé et pertinent qui fait défaut à beaucoup de productions audiovisuelles. La réalisation est remarquable et multiplie les plans séquences à la fois virtuoses et sobres, quand ce ne sont pas des petites mais brillantes idées de mise en scène qui pullulent. L'écriture des personnages rappelle tantôt celle de Mad Men, tantôt celle de Boardwalk Empire. Le niveau se pose là. On pourrait même faire un parallèle entre le personnage de Clive Owen (qui d'ailleurs trouve un rôle idéal pour se lâcher complètement et se renouveler) et celui de Jon Hamm dans la série des publicitaires. Une géniale découverte que je recommande chaudement.

mercredi 10 décembre 2014

[Critique] Exodus : Gods and Kings (2014)

Réalisateur : Ridley Scott

Scénaristes : Adam Cooper, Bill Collage, Jeffrey Caine et Steven Zaillian

Avec : Christian Bale, Joel Edgerton, Ben Kingsley
 
Directeur de la photographie : Dariusz Wolski
 
Compositeurs : Alberto Iglesias, Harry Gregson-Williams et Feredico Jusid
 
Monteur : Billy Rich
 
Genre : Péplum
 
Nationalité : États-Unis, Royaume-Uni
 
Durée : 2h30
 
Date de sortie : 2014


Synopsis : L’histoire d’un homme qui osa braver la puissance de tout un empire.
Ridley Scott nous offre une nouvelle vision de l’histoire de Moïse, leader insoumis qui défia le pharaon Ramsès, entraînant 400 000 esclaves dans un périple grandiose pour fuir l’Egypte et échapper au terrible cycle des dix plaies.


"DES HOMMES ET DES DIEUX"

"Notre sujet est inhabituel", nous adressait Cecil B. DeMille dans l'aparté introductif de son auto-remake des Dix Commandements. Et pour cause, le périple biblique de Moïse n'a réellement été adapté que quatre fois sur la toile cinématographique, comprenant donc le dernier film de Ridley Scott. Ridley Scott. Quel autre cinéaste que lui pour succéder aux réalisateurs de la démesure de jadis ? L'acheminement vers Exodus : Gods and Kings était presque inéluctable pour le réalisateur britannique qui prophétisait d'une certaine manière l'avenir de sa carrière dans le buisson ardent qui crépitait à la fin de Kingdom of Heaven. A 77 ans, Ridley Scott est sans aucun doute dans le rush final d'une grande carrière, marquée par des films qui ont souvent divisé. Le remarquable Cartel fait hélas figure d'exemple récent. Qu'importe, l'ambition prime et cette nouvelle mouture du péplum moderne apparaît comme un baroud d'honneur pour compléter sa saga de fresques historiques. Plus que jamais aujourd'hui, ces films communiquent, se répondent, se font écho. Le grandiose appelle le grandiose.

Dans sa revisite d'histoires auparavant traitées, Ridley Scott capte non seulement l'essence du genre avec un œil frais, mais se targue avant tout d'une volonté de centrer ses intérêts et enjeux ailleurs. C'est ainsi que devant sa caméra, tantôt l'histoire ou tantôt l'essence de La Chute de l'Empire Romain et Le Cid, tous deux d'Anthony Mann, se sont respectivement mués en Gladiator et Kingdom of Heaven. Il entretient la même relation avec l’œuvre de DeMille. Le classique hollywoodien mettant en scène Charlton Heston se prévalait avant tout d'adapter directement la Bible, les "Saintes Écritures", comme précisé dans le générique. Ici, Ridley Scott se penche davantage sur l'humanité de Moïse. Ce sont avant tout ses relations autodestructrices avec les personnages majeurs de son périple, notamment Dieu et Ramsès qui intéressent. Exodus, c'est l'histoire d'un homme condamné à porter le fardeau écrasant qu'est la prophétie.

De toutes les fresques historiques réalisées par sir Scott, il s'agit ici, malgré son envergure, et Les Duellistes mis à part, de son plus intimiste, son plus humain. Le traditionnel ton solennel, plutôt imposé par le genre, est ici très en retrait et se ressent notamment dans les dialogues. Éventuellement déconcertants à première vue, ils s'accordent au caractère vif, tumultueux, mais aussi faillible des personnages. Le fond des mentalités d'Exodus s'inscrit dans un certain concret. Ainsi, l'allégorique empire du mal qu'aurait pu représenter l’Égypte des pharaons est perçu comme un véritable État confronté à des réalités politiques et économiques, comme le rappelle Ramsès lorsque son frère Moïse exige la libération du peuple hébreu. Tout le premier acte du film, par ailleurs appuyé par une bataille d'envergure nous plongeant rapidement dans l'action à l'instar de Gladiator, travaille finement les enjeux des personnages et ceux de l'univers. La patte précise et perfectionniste du scénariste Steven Zaillian (ayant collaboré précédemment avec Ridley Scott notamment sur American Gangster) se ressent grandement dans le sens du détail et de l'équilibre.

L'équilibre passe également par le doute et la remise en question. Les relations entre Moïse et Ramsès se répondent avec justesse : si dans une première partie, le prophète en devenir est profondément sûr de lui et investi dans sa tâche princière, à contrario de l'héritier du trône, la deuxième partie voit justement émerger l'inverse et Moïse doute plus que jamais. Malgré sa divine mission, il doute plus dans sa quête que tous les héros des fresques de Ridley Scott. D'autant plus que l'implication d'une entité supérieure est parfois incertaine dans Exodus : Gods and Kings. Avec justesse, les deux approches peuvent être perçues. Après tout, Moïse lui-même doute de ce qu'il voit et est à plus d'une reprise au bord de la folie. Davantage chef de guerre que prophète, l'ancien prince d’Égypte questionne la valeur de la prophétie et son existence, tout comme le spectateur.

Ainsi le prix à payer pour la liberté est remis en cause. Car si Moïse opère méthodiquement en instiguant une véritable guérilla contre les approvisionnements de l’Égypte, les plaies attribuées au dieu des hébreux visent non seulement l'anéantissement de l'empire, mais aussi celui de son peuple. La violence avec laquelle s'abat la divine colère est inédite et réellement terrifiante. Si le ton de la version de Cecil B. DeMille était profondément influencé par le Nouveau Testament, avec un regard très chrétien sur un dieu d'amour, ici la vision semble provenir de l'Ancien Testament : Dieu est puissant et vengeur. Les évènements atteignent une telle démesure, gratuite et littéralement inhumaine, qu'ils dépassent le pouvoir de Moïse et Ramsès. "Cela nous dépasse tous les deux", comme l'avance le premier. "Est-ce cela ton dieu ? Un meurtrier d'enfants ?" lui répondra plus tard le second.

La finesse des personnages est sans compter un casting judicieusement choisi. Car s'il est évident que Christian Bale a la part belle, dans un rôle le poussant à proposer le meilleur de lui-même dans une introspection bien gérée, c'est Joel Edgerton qui en impose en Ramsès. Loin de la cruauté incarnée par Joaquim Phoenix dans le personnage de Commode, avec qui le pharaon partage tout de même le point commun de fils mal-aimé, Ramsès suscite ici parfois l'empathie du spectateur face à l'impuissance de ce dont il est témoin. Sa position de dieu-vivant l'empêchant de fléchir, il est tout aussi porteur d'un fardeau que son frère hébreu. Les deux acteurs le retranscrivent fort bien et s'émancipent ainsi du duo iconique Charlton Heston / Yul Brynner. On peut également compter sur de solides seconds rôles, outre Ben Kingsley ou encore Aaron Paul, la présence de John Turturo en Séti est un véritable plaisir.

Exodus : Gods and Kings, c'est aussi comprendre comment inscrire le péplum biblique dans la modernité et les réalités d'un cinéma post-moderne. Précédemment dans l'année, Darren Aronofsky échouait dans sa revisite d'un autre mythe avec Noah, mais son adaptation se percevait davantage comme un film d'aventures aux allures fantastiques plutôt qu'un péplum en bonne et due forme. Ici, le parti-pris est clair : bien que d'inspiration classique, fidèle aux influences picturales de Ridley Scott, le péplum mute en œuvre moderne tournée en numérique 3D. A l'instar de Gladiator, qui ré-actualisait le genre et a porté ses fruits dans des films parfois merveilleux (repensons au fabuleux Alexandre d'Oliver Stone, qui par ailleurs est ressorti cette année dans un nouveau montage), Exodus pourrait ouvrir la porte sur une nouvelle génération fascinante. La forme s'équilibre remarquablement bien, avec un panache sans pareil, entre de fastes décors et des trucages à l'envergure impressionnante permis par la technologie numérique.

L'enchainement de somptueux tableaux permet de donner un corps unique à l'envergure des évènements décrits par le film. La photographie de Dariusz Wolski sculpte finement les détails de l'image, notamment mis en valeur par un travail 3D (native, par ailleurs) discret mais précis en intérieur, surtout au sein du premier acte. On peut tout de même déplorer qu'elle s'efface trop dans les extérieurs, bien que mettant tout le temps en valeur une profondeur de champ saisissante, pour ne pas dire parfois bluffante par son ampleur. A nouveau, le spectre démesuré des visionnaires hollywoodiens de la Fox des années 50 n'est jamais loin. Pensons ne serait-ce qu'à L’Égyptien de Michael Curtiz et sa reconstitution boostée aux chaudes couleurs du technicolor. Ici, L'esthétique est poussée jusqu'à proposer une gamme de teintes parfois incroyables.

En parallèle, le film peut se prévaloir d'une élégante sobriété lors de séquences plus intimes mais tout aussi importantes pour les personnages. Comme exemple, et sans trop en dire pour ne pas déflorer exagérément la découverte de cette nouvelle approche, la tant attendue scène du buisson ardent sur le mont Sinaï est quelque part d'une immense simplicité, même si un choix artistique particulier la concernant en fera hurler plus d'un. Loin du faste scintillant des ancêtres, Ridley Scott convoite l'intime de la séquence avec une poésie majestueuse, appuyée par une composition profondément influencée par la partition du Vorspiel de Richard Wagner, tiré de l'Or du Rhin. C'est dire. Les sommets sont tutoyés avec une noblesse que l'on pensait perdue, égarée ou broyée dans la machine hollywoodienne contemporaine.

Parlant de compositions, il y a tant à dire sur la partition d'Alberto Iglesias. Pour Exodus : Gods and Kings, Ridley Scott s'est allié au compositeur de Pedro Almodovar, néanmoins aidé par un de ses compatriotes, Federico Jusid, mais aussi par le grandiose Harry Gregson-Williams dont l'intensité des chœurs grégoriens de Kingdom of Heaven résonne encore dans nos tripes. L'ampleur des chœurs, c'est bien quelque chose qui est ici transmis en filiation, à l'heure de la musique synthétique qui flirte souvent avec de la composition automatique. Les puissantes orchestrations symphoniques propulsent le film dans une autre dimension de l'épique, à l'échelle encore plus virtuose et démente. On repense régulièrement à l'influence du compositeur Miklós Rózsa, qui a signé plusieurs partitions de fresques épiques, dont Le Cid, qui transcendait toute la majestuosité offerte par le film. L'héritage est là. Le scope couvert par la musique est impressionnant et marque profondément l'épopée ô combien singulière à laquelle on assiste.

Épopée certes singulière et démesurée, qui toutefois ne manquera pas de diviser une fois de plus comme bien des films de son auteur. D'autant plus que les connaisseurs du cinéma de Ridley Scott ressentiront sans trop de mal certaines coupes au montage. Premiers concernés : le personnage de la reine Tuya, interprétée par Sigourney Weaver, ici laissée très en arrière plan, ainsi que la vie familiale de Moïse après sa sortie d’Égypte. Plus généralement, ce sont les parties constituées notamment par des intrigues politiques et familiales qui se retrouvent victimes des coupes, mettant avant tout en avant un film épique au rythme effréné. A contrario des coupes toxiques dont avait grandement souffert Kingdom of Heaven, ici la garantie est celle d'un film tout de même juste et d'une efficacité record. La dernière heure est d'une intensité rare et la compilation effectuée fonctionne tout de même. Les plus avides de fresques à la durée démesurée pourront attendre la traditionnelle director's cut qui dépassera sans aucun doute les trois heures. Une fois de plus on aurait souhaité bénéficier de cette version directement en salle, mais en étant raisonnable, et à la décharge de la Fox, la tentative de remise au goût du jour du péplum biblique est déjà suffisamment risquée pour ne pas trop en rajouter.

Il serait donc tout de même dommage de se priver de la dernière production de Scott Free. Définitivement majeur dans une filmographie contestée, Exodus : Gods and King n'en demeure pas moins une œuvre totale de cinéma, un témoignage de grandeur regardant autant vers le passé que vers l'avenir. A l'instar de Kingdom of Heaven qui trouvait sa résonance en tant que film post-9/11, l'épopée biblique jette également un regard sur notre ère. L'Histoire, malgré la connaissance, semble être perpétuellement destinée à se répéter. Un dialogue entre Joshua et Moïse implique par ailleurs directement les circonstances de la création de l’État d'Israël. La question est soulevée avec finesse, loin d'un tumulte grossier, et laisse au spectateur la clé de la réponse, tout comme l'aspect religieux présent le long du film.

"To my brother, Tony Scott" est la conclusion du métrage, rendant hommage au frère de Ridley Scott, disparu il y a désormais plus de deux ans. Le témoignage significatif d'un frère à l'autre dans un film qui met justement en scène une relation fraternelle. Une fois de plus, davantage que dans tout autre film du genre, les relations sont ce qui importe dans Exodus : Gods and Kings. C'est simplement l'histoire de relations et de transmissions. Transmissions, notamment du père au fils, présentes dans chacune des fresques signées Ridley Scott. Ici, c'est sans aucun doute le chapitre de la conclusion : les hommes s'en vont, mais la transmission reste. Dernier écho avec Robin des Bois, qui trouvait la voix de la vérité inscrite par lui et son père dans la pierre, immuable face au temps. Comme celle sur laquelle sont gravées un certain nombre de lois dont nous n'avons même plus besoin de rappeler le nom. Incroyablement puissant.

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mardi 2 décembre 2014

[Avis en vrac] Night Call (2014), Quand vient la nuit (2014), La prochaine fois je viserai le coeur (2014), Au Nom du Pape Roi (1977), La Soufrière (1977), Gasherbrüm (1985), Spéciale première (1974), Paradis Perdu (1940), Darling Lili (1970), Les Possédés (1988), Le Chemin des écoliers (1959), Les Tuniques Ecarlates (1940), Dans la brume électrique (2008), Les Commandos passent à l'attaque (1958), La Maison du Docteur Edwardes (1945) et Fitzcarraldo (1982)

AU CINÉMA


Nightcall, de Dan Gilroy (2014)

Le magnétisme dérangeant de la Cité des Anges n'en finit pas de charmer les cinéastes, qui décidément ne tarissent pas de sujets intéressants. Night Call apparaît comme une relecture plutôt agréable des nuits citadines de Scorsese. Évidemment on pense à Taxi Driver mais également à A Tombeau ouvert, au caractère contemporain plus proche du film présent. C'est un vrai film de scénariste, plutôt finement écrit même si on peut reprocher une durée éventuellement trop longue pour un film qui devrait aller droit au but, un film dans lequel jamais nous n'avons de l'empathie pour les personnages. Mais l'ensemble est plutôt traité avec habileté, sans trop s'attarder sur la critique facile des médias et en se resserrant sur le personnage principal. Gyllenhaal en fait des tonnes, parfois au bord du surjeu, sans que cela soit pour autant déplaisant. Le rôle l'amuse et il en fait profiter son spectateur. Dommage que la réalisation soit un peu impersonnelle, même si globalement efficace, le spectre nocturne de Michael Mann n'étant jamais loin.



Quand vient la nuit, de Michael R. Roskam (2014)

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on a connu Dennis Lehane plus ambitieux. Quand vient la nuit s'apparente à une sorte d'essai, un exercice de style pour le réalisateur belge Roskam pour son entrée dans le cinéma américain. En soi le film n'est pas foncièrement désagréable : l'ensemble est propre. Plutôt bien réalisé, l'écriture est sobre, l'interprétation est globalement correcte... Mais on finit tout de même par se demander où va réellement le film, quel est le fond, que veut-il dire... L'ensemble paraît très vain et manque cruellement de l'ambition urbaine pourtant caractéristique de l'écrivain de Mystic River. Voilà qui pourrait éventuellement se faire apprécier par les amateurs de polars urbains plutôt sobres et élégants, mais en ce qui me concerne, je reste trop sur ma faim. Je suis même un peu déçu par l'interprétation du regretté James Gandolfini.

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La prochaine fois je viserai le cœur, de Cédric Anger (2014) 

Une énième adaptation de faits réels qui ont un haut potentiel cinématographique, La prochaine fois je viserai le cœur se retrouve gâché par le global manque d'ambition et la faiblesse des idées derrière la caméra. Pourtant il y a une forme de bonne volonté qui se ressent sur l'ensemble, mais elle semble perdue dans le vide. Le début intrigue, efficace, avant que les problèmes ne s'accumulent : la lenteur d'une réalisation qui manque de profondeur, une interprétation terne voire parfois ridicule et surtout une écriture qui ne sait pas où aller. Le personnage du tueur, interprété par Guillaume Canet, est mal caractérisé, l'empathie vaguement désirée ne fonctionne pas ; la crainte non plus. Il indiffère profondément, ce qui est quand même un problème dans ce genre de film. Les enjeux sont finalement assez absents et l'ennui devient vite palpable, dans ce film qui manque de rebondissements, d'audace, ou ne serait-ce que d'âme.



Au Nom du Pape Roi, Luigi Magni (1977)

Ressortie en salles.

Véritable trésor oublié du cinéma italien exhumé pour sa restauration, Au Nom du Pape Roi est un petit délice typique de tout rayonnement des années 70 au pays de Fellini. Fresque historique mais intimiste remarquablement bien écrite, le film se prévaut aussi d'un ton bon enfant, parfois excessivement drôle dans sa franchise blasphématoire. Le contexte, mettant en scène le pouvoir du Vatican périclitant à l'heure où Garibaldi mène l'insurrection à Rome, est passionnant. Le regard depuis les arcanes religieuse de la Cité Éternelle apporte toute les nuances nécessaires, d'autant plus porté par le grandiose Nino Manfredi. C'est sans compter la somptueuse photographie sublimant ces intérieurs en studio aux couleurs vives, et également une très belle composition dans l'ère du temps pour accompagner le tout. Fabuleuse découverte !

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 Les Ascensions de Werner Herzog (1977/1984)

Présenté à la Cinémathèque française "Les Ascensions de Werner Herzog" compile deux restaurations de films documentaires de Werner Herzog : La Soufrière (1977) et Gasherbrum (1985). A partir du 3 décembre au cinéma.

La Soufrière, de Werner Herzog (1977)

Quoi de plus tentant pour un cinéaste qui aime l'aventure que de prendre sa caméra pour aller filmer l'explosion à venir d'un volcan, susceptible de raser une ville entière ? La Soufrière est un court (30 minutes) mais génial documentaire de Werner Herzog, au parfum d'aventure et de danger résolument palpable. Les images captées sont fantastiques dans cette ville de Guadeloupe qui s'apparente à une sorte de "Pompéi en devenir". Herzog met en scène son documentaire avec toute la grandeur mystique qui le caractérise. C'est somptueux, et ponctué çà et là d'authentiques moments de vie, comme lorsqu'il s'en va quérir des locaux sur les raisons qui les ont poussé à rester. Grandiose.


Gasherbrum, la montagne lumineuse, de Werner Herzog (1985)

Les thèmes poursuivis par Herzog dans Gasherbrum sont passionnants, le réalisateur ne s'intéressant pas tant à l'alpinisme, mais plutôt à la pulsion qui pousse les deux grimpeurs que l'on suit à escalader consécutivement deux pics de 8000 mètres. Est-ce une pulsion de mort, s'interroge-t-on ? Une recherche de vie ? De paix ? Dans ces hauteurs presque infernales, on part à la recherche de mythes, de grandeurs insondables, comme le souligne d'ailleurs Herzog dans son utilisation vertigineuse de la musique de Wagner. Sacré grimpette !

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Spéciale première, de Billy Wilder (1974)

 Ressortie en salles.

Faisant parti de la fin de carrière de Wilder, Spéciale première a ce cachet très particulier des films de réalisateurs âgés qui ne sont plus tout à fait dans leur temps, mais qui essayent tout de même de s'adapter, plus ou moins dans la continuité de L'Odyssée de Charles Lindbergh du même auteur. L'ensemble a quand même l'entrain caractéristique de Billy Wilder, cette finesse d'écriture qui fait mouche à chaque réplique. A plus d'une reprise on sent toutefois l'adaptation théâtrale, mais qu'importe, ça passe globalement comme une lettre à la poste et Wilder soigne grandement sa mise en scène, riche en idées et en couleurs. Et puis évidemment, il y a ce duo Jack Lemmon / Walter Matthau qui tient tout le film à lui tout seul, avec cette énergie roublarde fabuleuse au langage parfois fleuri comme il faut. Drôle et plutôt intelligent, au dynamisme à cheval entre classique et moderne, Spéciale première mérite le coup d'oeil.



Paradis Perdu, d'Abel Gance (1940) 

Projeté à la Fondation Jérôme Seydoux - Pathé.

Mélodrame français bouleversant, Paradis Perdu recèle tout le trésor du grand metteur en scène qu'était Abel Gance, portant ici son cinéma dans une tout autre dimension, celle de l'émotion. La traumatique Première Guerre Mondiale n'est jamais loin, source de tous les maux, d'autant plus d'actualité à l'ère où la France est occupée, revivant un nouveau trauma. L'écriture, d'une immense simplicité et d'une naïveté touchante, transcende par sa vivacité ou sa dureté, tout en étant toujours juste. Les personnages sont ainsi d'autant plus sublimés. L'interprétation est grandiose et confère la touche de génie finale, irrésistible grâce à ces légendaires gros plans en noir & blanc dont on avait jadis le secret. Alors que les larmes sont encore chaudes, la chanson "Paradis Perdu" continue à résonner après la fin du film. Beau, simple, marquant.

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EN VIDÉO


Darling Lili, de Blake Edwards (1970)

Darling Lili pourrait se voir comme une version humoristique et graveleuse du Crépuscule des Aigles de John Guillermin. Ici, une histoire d'amour chevauche également les combats aériens de la Première Guerre Mondiale, à ceci près que le thème de l'espionnage est introduit, ressemblant à une version grotesque de Mata-hari. La maitrise habituelle de Blake Edwards rend le film agréable à suivre, porté par la chaleureuse Julie Andrews, finement secondée par le puissant Rock Hudson. Le film se paye même le luxe de batailles aériennes plutôt sympathiques, bien que certaines soient totalement plagiées du film de Guillermin cité plus haut et sorti quatre ans plus tôt. Bien que l'on sente un Edwards pas forcément à son aise dans les années 70, il reste le charme désuet de sa notion de comédie bien graveleuse, parfois gentiment vulgaire, mais souvent très plaisant. Et c'est sans compter une ouverture et une conclusion remarquables, tout en chanson.



Les Possédés, d'Andrej Wajda (1988)

C'est étrange. Impossible de placer un ressenti précis sur Les Possédés, si ce n'est que c'est un "genre" que définitivement on ne produit plus, ou presque plus. Casting bien prestigieux pour cette belle collaboration franco-polonaise traitant d'une histoire russe, voilà qui ne laisse tout de même pas indifférent. Mais, à nouveau, tout est étrange, tout semble confus dans un vrai maëlstrom, les personnages vont et viennent, sortent du récit parfois brusquement et l'histoire avance avec une lenteur extrême. Mais ça n'est pas son charme. Le mysticisme de cette campagne slave apporte une singularité inimitable au film, confirmé par une musique inquiétante, presque fantastique, et des images somptueuses. Le ressenti que laisse Les Possédés est totalement éloignée du concret, on a ce charme laissé par l'univers sans pour autant que l'on se soit réellement intéressé à l'histoire. De l'art d'avoir été subjugué même lorsque l'on s'est ennuyé. Vraiment curieux.



Le Chemin des écoliers, de Michel Boisrond (1959)

Comédie aujourd'hui assez typique sur le quotidien français lors de l'Occupation, Le Chemin des écoliers prévaut tout de même grâce à tout le dynamisme du si beau cinéma français des années 50, boosté en prime par une très légère essence Nouvelle Vague dans certaines petites audaces commises à droite ou à gauche, le mouvement débutant par ailleurs la même année. Tout est assez naturel et simple, les situations sont parfois belles, d'autres fois beaucoup plus cocasses (voir Bourvil perdu dans des sous-entendus très graveleux est un vrai petit plaisir). Le Chemin des écoliers est sans prétention et ne va pas chercher bien loin, peut-être moins abouti que La Vie de Château de Rappeneau, mais l'essence enthousiasmante est assez proche : cela se déguste tout simplement et laisse un goût plaisant de joyeuseté.

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Les Tuniques Écarlates, de Cecil B. DeMille (1940)

Les Tuniques Écarlates a son équivalent chez chaque cinéaste de l'époque : une sorte d'exercice de style qui correspond à un passage (ou un essai) au Technicolor. Ici le cadre habituel du western est changé et met le cap plein Nord, dans les vastes forêts montagneuses du Canada, avec pour contexte (assez original) la lutte entre la police montée, les fameuses tuniques écarlates, et les rebelles de l'indépendance. La diversité proposée par le film de DeMille est vraiment agréable et fait mouche, mais pas forcément sur deux heures de film. Les scènes tournant autour des intrigues amoureuses sont malheureusement trop longues et nuisent à l'aventure et à l'action, en revanche très maitrisés. Certaines fusillades sont bluffantes. Reste également la singularité de ne faire apparaître Gary Cooper qu'après une bonne vingtaine de minutes de film. Il n'est (hélas) pas aussi central dans le récit que l'on ne l'aurait souhaité. Et puis il y a ce technicolor qui brille de mille feux, peut-être pas aussi maitrisé cela dit qu'il ne l'était chez John Ford dans Sur la piste des Mohawks.

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Dans la brume électrique, de Bertrand Tavernier (2008)

Les liens entre Bertrand Tavernier et le cinéma américain ne sont plus à prouver, et Dans la brume électrique apparaît comme une jolie concrétisation. Tavernier a l'intelligence d'aller filmer une Amérique profonde en relation avec la vieille Europe, ces bayous qu'il affectionne et au caractère rural dans lequel il se reconnaît éventuellement. C'est un authentique film de passionné, passionné de cinéma mais aussi de musique comme en témoignent la très belle partition de Marco Beltrami (qui peine à trouver de bons films sur lesquels collaborer !) mais aussi la présence furtive de Buddy Guy. Obsession oblige, Tavernier ne manque pas de trouver le moyen d'y inclure un lien vers le passé, vers la reconstitution qu'il aime tant. Néanmoins ce qui est remarquablement bien vu, c'est l'intégration dans le récit et l'écho qui s'y fait. Dommage que le final paraisse un peu facile et expédié. C'est tout de même largement compensé par un Tommy Lee Jones qui domine tout le film, face à un John Goodman remarquablement dégueulasse. Un vrai petit plaisir de cinéaste, en somme.

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Les Commandos passent à l'attaque, de William A. Wellman (1958)

Wellman m'avait quelque peu sonné avec le remarquable Bastogne, grand film de guerre à la modernité et au réalisme exceptionnels. Les Commandos passent à l'attaque est un film plus mineur, assez classique, mais néanmoins intéressant dans les évènements qu'il décrit, à savoir la création des Rangers. Il faut néanmoins endurer une heure de prologue passablement longue avant que le film ne se plonge vraiment dans son sujet. Si la phase de "drill" est plutôt intéressante, les pérégrinations amoureuses en parallèle sont franchement balourdes. Il faut en plus supporter un humour graveleux parfois bien lourd. La deuxième heure de film, centrée sur les combats, est en revanche d'un tout autre niveau. Une fois de plus on sent à quel point Wellman connaît le sujet qu'il traite, lui-même vétéran. Même la psychologie des soldats est plus intéressante dans les phases de combat que dans les phases "civiles". Un film de guerre un peu mineur donc, mais cela dit pas déplaisant et parfois impressionnant.

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La Maison du Docteur Edwardes, d'Alfred Hitchcock (1945)

Hitchcock de très haute volée, Spellbound (de son titre original) est un exercice de style vraiment saisissant. Évidemment on retrouve dans chaque plan, chaque séquence, les éternelles caractéristiques qui depuis ont forgé le style de l'auteur, à ceci près qu'ici deux paramètres viennent apporter une touche unique : d'une part, les fantasmes visuels des rêves conçus par Dali, d'autre part la partition avant-gardiste de Miklós Rózsa qui résonne parfois presque comme celle d'un film de science-fiction. Armé de sa précision millimétrée habituelle, Hitchcock taille ici un film résolument moderne, peut-être un de ceux dont la modernité évoque le plus celle de son descendant, Brian De Palma. On repense au fameux plan avec le rasoir, semblant sortir d'un slasher des années 70. Et ici, une fois n'est pas coutume, si ça n'est pas Gregory Peck qui illumine, c'est bel et bien la géniale Ingrid Bergman, au personnage tellement hitchcockien, mais tellement beau.



Fitzcarraldo, de Werner Herzog (1982)

Encore un film qui confirme que 1982  est l'une des plus grandes années du Cinéma. Fitzcarraldo s'inscrit dans tout ce que j'aime : de l'aventure aux tréfonds du monde connu sur fond de  Richard Wagner. Et plus généralement, c'est bien là un aspect qui me fascine dans le cinéma de Werner Herzog : prendre une caméra et aller filmer des choses improbables ou impressionnantes dans des paysages mystiques et inconnus. Et il le fait remarquablement bien, Fitzcarraldo est un film de passionné qui veut sublimer ce que sa caméra capte. On ne peut pas faire plus simple comme histoire ou comme enjeu, et pourtant Herzog travaille ses personnages et son environnement, travaille son action pour proposer une virée fluviale une fois de plus hors-du-commun. On se croirait vraiment dans un périple d'un autre temps à la Joseph Conrad, où l'aventure burine l'humain comme en témoigne le visage magnétique de l'hypnotique Klaus Kinski. Immense film.

Ficne Cinelounge